À CARPENTRAS, RENDEZ-VOUS CHEZ OLIVIER BLARQUEZ, HOUBLONNIER-BRASSEUR AU MAS COURBET
- Nathalie Vergier
- 12 juin
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 5 jours

LIEU : CARPENTRAS
DATE DE CRÉATION : 2021
BRASSEUR(S) : OLIVIER BLARQUEZ
De Québec à la Provence
Ce n’est peut-être pas un hasard si on brasse au Mas Courbet. Plusieurs indices laissent imaginer qu’à l’époque où les brasseries fleurissaient un peu partout en France, avant de disparaître dans la tourmente de la première guerre mondiale, aurait existé ici une activité brassicole. Il y a le houblon sauvage qui a envahi la moindre haie. Il y a aussi le nom d’un quartier voisin de la propriété.
« C’est le quartier de la brasserie. Il n’existe pas sur les cartes ni sur les panneaux mais les anciens l’appellent ainsi »
explique Olivier Blarquez. Un passage aux archives de la capitale comtadine pourrait nous en apprendre davantage.
Le Carpentrassien n’envisageait pas au départ le métier de brasseur. Son intérêt pour tout ce qui touche aux plantes et à leur environnement l’a conduit jusqu’à un doctorat en écologie et environnement puis à diriger, en tant qu’enseignant chercheur, un grand laboratoire à l’université de Montréal. Et c’est dans le bas Saint-Laurent, autre fameuse contrée de la craft, qu’il a commencé à brasser dans le sous-sol de sa maison et à faire quelques expérimentations houblonnées. «Quand j’ai décidé de rentrer avec l’idée de faire autre chose comme faire pousser des plantes, je me suis dis que ce serait intéressant de monter aussi ma brasserie » explique-t-il. Arrivé il y a quatre ans, Olivier Blarquez a donc entrepris de redonner une vocation agricole au Mas Courbet pour produire son houblon, son raisin de table et ses fraises, matières premières nécessaires à la fabrication de ses bières.

Des poules dans la houblonnière
Route de Loriol, lorsqu’on laisse la double voie à l’entrée de Carpentras, la campagne reprend ses droits avec ses fermes entourées de serres et de cultures de plein champ. Le houblon y pousse à l’état sauvage, à ceci près qu’ici, grâce à sa passion des plantes et son expertise d’écologue, Olivier Blarquez l’a apprivoisé.
Cette culture à la verticale qui peut, sauf vent contraire, tutoyer les dix mètres, est encore rare en terres provençales. Mais au mas Courbet, 3 000 m2 de houblonnières sont sorties de terre il y a quatre ans et les poules y picorent en toute tranquillité comme si elles avaient toujours été là. A l’origine de ces houblonnières comtadines, un projet d’envergure, porté par le collectif Bières de Provence et soutenu par la Région, vise à terme la création d’un houblon méditerranéen bio. Un GIEE (Groupement d'intérêt économique et environnemental) constitué de plusieurs sites expérimentaux a été créé en Paca, avec pour le Vaucluse, principalement le mas Courbet à Carpentras et Houbleron à Cabrières d’Aigues.
Chez Olivier Blarquez, une cinquantaine de variétés ont été plantées réparties sur plusieurs parcelles, avec un certain succès.
« Pour les variétés anglaises ou tchèques comme le Saaz, c’est pas terrible car le climat ne leur convient pas. Mais certaines variétés allemandes et les américaines comme le Cascade et le Chinook donnent de très beaux aromatiques. Le Cachemire, issu d’un croisement avec le Cascade, marche très bien. Les brasseurs qui en prennent font de très belles bières avec. On met tout en oeuvre pour faire du houblon de qualité au même prix que le houblon américain»
indique le néo-houblonnier qui fera d’ici la fin août sa quatrième récolte, vendue en totalité sur le marché local. On dirait que le houblon méditerranéen a pris racine.

Des bières qui se boivent un peu comme du vin
La blonde de soif, l’IPA, la stout… on oublie !
Le style de la brasserie du Mas Courbet, c’est sour et oenobière. Bière et vin y font bon ménage. En témoignent les fûts de chêne provenant de domaines viticoles d’ici et d’ailleurs (Languedoc et Bourgogne) installés en bonne place à côté de la salle de production de la brasserie.
On peut même parler d’accords parfaits. Comme les brasseurs de lambic en terres flamandes, Olivier Blarquez assemble bières et jus de raisins ou de fraises de son exploitation pour élaborer des boissons hybrides. Par l’alchimie de la fermentation sauvage et du temps long, elles ne sont plus tout à fait des bières ni tout à fait des vins mais, pour les avoir goûté, des breuvages délicieux. « Le côté hybride et l’orientation vin, c’est tout de suite ce vers quoi j’ai eu envie d’aller. J’aime les bières acides, complexes, avec du corps, des aromatiques forts sur le fruit» indique le brasseur qui a aussi choisi le parti pris de ce style de bière, pour se démarquer sur un marché local qui ne manque pas de brasseries artisanales.
« Clairement je suis un peu dans la démarche du producteur de vin naturel, ou de pet’ nat’, le pétillant naturel qui finit de fermenter en bouteille. Je m’adresse plus au monde du vin qu’au monde de la bière. Je fais des bières qui se boivent un peu comme on boit du vin ».
Un choix assumé mais aussi un paradoxe car les bières d’Olivier Blarquez, producteur de houblons, sont par définition peu houblonnées. Pour autant l’ingrédient indispensable à l’asepsie de la bière est employé de manière très particulière et joue même un rôle majeur. Il utilise un Cascade surannée, qu’il laisse vieillir plusieurs mois après la récolte. Ainsi, la plante conserve ses vertus purifiantes comme un houblon frais mais favorise en plus la fermentation secondaire spontanée, celle que recherche le brasseur-vigneron.
« Pour faire ce genre de bière, on oublie tous les processus de brassage habituels. Il faut faire une bière qui n’a pas d’allure » explique-t-il. C’est l’étape du vieillissement en fût, entre douze et vingt-quatre mois, qui est déterminante, avec le développement d’une multitude de levures sauvages qui vont, comme pour le vin, donner des notes florales, terreuses… l’identité organoleptique.
« Tout se fait sur le temps long. Au début on a des bières imbuvables mais après X mois et X vieillissements, on obtient quelque chose d’intéressant. Une fois en bouteille, la bière se stabilise tout en continuant à évoluer. » La DLUO (date limite d’utilisation optimale) mentionnée sur l’étiquette comme l’exige la législation sur la bière est de dix ans. Foi de brasseur-vigneron, elles se gardent très bien !

Première cuvée du Mas Courbet
« Je suis encore en phase de test et sur une production assez confidentielle» précise l’ancien enseignant-chercheur. Ses toute premières bières, barriquées en 2023 en fût de chêne et embouteillées en 2024, sont au nombre de trois. Comme des lambics et autres gueuzes, elles ont pour flacon des bouteilles type Bourgogne, couleur feuille morte. Petit supplément d’âme : elles portent le nom de créatures forcément hybrides, imaginées et peintes par le brasseur à la manière d’un naturaliste explorateur du XIXe.
Hippocoala : sour à la fraise
Seize mois d’élevage en fût de chêne avec jus de fraises et houblon Cascade cultivés en bio sur l’exploitation.
« L’acidité est bien présente, le fruit aussi. C’est un produit qui a du peps, du corps mais n’est pas très fort en alcool (6°). Cuvée 2023 embouteillées en 2024. »
Otaribeau : oenobière au Muscat
Seize mois d’élevage en fût de chêne blanc avec 37% de Muscat de Hambourg et houblon Cascade.
«Plutôt intéressant, très complexe. 7,5° : le vin a fait gagner 1,5° à la bière.»
Ratcasse : oenobière apéritive au Muscat
« Quatorze mois d’élevage en fût de chêne avec 50% de Muscat de Hambourg et houblon Cascade.
« Un hybride pur, assez similaire d’un vin pétillant naturel type Clairette de Die. Un goût de Muscat mais pas tonitruant. Plus fort en alcool (9,5%). »
Contact & INFOS : https://mascourbet.com/